ÉCRAN TOTAL #3 – JOURNAL AUTOMATIQUE MNRVWX – Clara Pacotte + Arnaud Mirman

Série de post suite au Workshop avec les étudiants de l’école nationale supérieure d’arts de Paris Cergy et de l’écolé supérieure d’art de l’agglomération d’Annecy. Intervention de Marie Lechner, Matthieu Clainchard, Jeff Guess, Éric maillet, Jean-Marc chapoulie

Ce projet est une tentative de replacer le récit au centre
de la question artistique, et de distinguer, de fait, ce qui fait
« médium », et ce qui fait « outil ». En partant des pratiques numériques liées à Internet et des questions qu’elles soulèvent aujourd’hui (surveillance, intimité, mise en partage et en réseau, détournement, etc.), nous cherchons à questionner La place de l’ordinateur dans
la production artistique. Les étudiants de l’ESAAA et de l’ENSAPC, réunis au sein d’un workshop début avril aux Grands Voisins à Paris, sont les experts de ces questions dans leur quotidien. Sous forme d’atelier collectif, ils imaginent des propositions artistiques en prise avec l’actualité critique d’Internet.

ÉCRAN TOTAL #3

JOURNAL AUTOMATIQUE MNRVWX – Clara Pacotte + Arnaud Mirman

Projet d’environnement 3d interactif.

Il se constitue de captures vidéos de webcams de parcs nationaux, squares et autres espaces verts où l’empreinte de la civilisation est perceptible, de plans dessinés à la main de dispositifs de projection, et les modélisations 3d qui leur correspondent.

Toute cette documentation est organisée aléatoirement dans l’espace et laisse l’utilisateur s’y déplacer librement.

Cet environnement est la modélisation d’un système de transmission de l’information propre à une civilisation nommée Mnrvwx. Ce système est décrit dans le texte audio qui accompagne l’exploration de l’utilisateur. Celui ci est dit à la première personne par la terrienne en mission d’apprentissage au sein des Mnrvwx.

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Texte en écoute pendant l’exploration :

“  Aujourd’hui, ça fait 4 mois que je suis là.

Je discute avec Sai4 en haut de la plaine Est depuis le matin et j’essaie de lui faire imaginer les parcs et les jardins terrestres.

Je n’ai emporté avec moi que des images de l’océan pour mon voyage, notre discussion consiste donc à lui décrire des espèces amazoniennes ou des hortensias bretons, le terrain boisé et très organisé de Versailles, des collines monacales japonaises ou des squares miteux survivants parfois entre des immeubles, des bois vivaces abandonnés, des arrières cour envahis par les ronces,  et des rangées de jeunes sapins plantés en prévision de Noël.

Elle est ce qu’on appellerait paysagiste sur Terre. Mais ici on peut aller voir des jardins aussi au cinéma et jouer avec. Sai4 construit des jardins d’exploration d’après les récits de missionés sur d’autres planètes.

Pendant qu’on discutait elle envoyait des données depuis une sorte de pad. Puis elle m’a tendu le journal automatique de la plaine, celui qui parle de botanique, bien que ce terme est à peu près aussi réducteur que le mot « nouille » quand il s’agit de rassembler toutes les sortes de pâtes.

Le journal automatique est un rouleau d’information, comme une encyclopédie en quelque sorte, mêlée à l’actualité. Où qu’ils soient dans l’espace, les informateurs peuvent y inscrire les nouvelles informations, découvertes, changements. Le rouleau est fait d’un papier qui ressemble à du calque et les scientifiques du transporteur m’ont dit qu’il est fait de couches multiples. L’information n’est donc pas simplement à la surface de ce que j’appelle papier. Elle s’inscrit indifféremment sur toutes les couches, se superpose, se m mélange ou se complète.

Pendant ma traversée jusqu’ici, j’ai commencé à m’entraîner à la lecture des Mnrvwx. Au début je n’arrivait pas à lire plus loin que la seconde couche. C’est très difficile parce qu’il faut se concentrer. J’ai l’impression que lire devient de la méditation. Finalement c’est comme entrer mentalement dans les textes et les images pour déceler l’essence. Je m’y grille les yeux dès que j’ai un moment depuis mon départ. Je suis ravie d’exercer mon acuité visuelle. Ca n’a rien à voir avec la douleur perçante de la lumière d’ordinateur, celle qui traverse la pupille comme une flèche et semble brûler la rétine à petit feu. C’est de la persévérance visuelle, comme si la persistance rétinienne n’était plus une gêne mais un allié pour tout saisir. Je regarde le journal et j’ai l’impression de me projeter à l’intérieur de mon plein gré, avec tout mon corps. Parfois, un jour se passe sans que rien ne change et le lendemain je me lève et je découvre un flux qui s’enfuit du rouleau aussi vite qu’il s’y pose.

Le rouleau n’est pas plus lourd pourtant.

J’attrape parfois un bol de céréales et je me poste devant le journal comme sur un ring. Je scrute la moindre information que je puisse attraper.Maintenant j’arrive aux couches 8 ou 9 et c’est comme me battre à l’intérieur de mes yeux, une lutte entre mes cônes et mes bâtonnets pour savoir si c’est la lumière ou les formes ou les couleurs ou les zones d’ombres qui me donneront une idée de ce que tout ça signifie.

Pour l’instant, on est deux sur la plaine Est. Le vent tournant fait osciller les brin d’herbe grasse, douce et moelleuse. Sai4 me regarde épier le rouleau comme si j’étais une statue égyptienne vivante posée sur le flanc entrain de déchiffrer un papyrus. Elle a pleins d’idées pour parler aux Mnrvwx de notre mécanique des plantes. Les formes que je lui ai décrites la laissent pantoise. Ca lui donne des idées de boîtes de concentré de jardin. Et elle me demande de joindre ma centrale terrestre pour avoir des images, une fois qu’elle aurait tout imaginer. A mesure qu’elle me raconte, tout se dessine dans le journal automatique, et j’imagine que sur la couche la plus profonde, on devrait pouvoir observer jusqu’à la formation de ses pensées.”