CORPS-AUTO-CONTRÔLE

PROJECTION EXTÉRIEURE et à ANALIX FOREVER.

Travail iconique, la vidéo U000 + U001 de Jean-Michel Pancin traite de la mémoire de son propre corps. Patineur amoureux de la glace et bientôt d’élite, l’artiste aura patiné six heures par jour pendant une dizaine d’années. À l’âge de seize ans, il doit interrompre cette pratique bien-aimée pour des raisons médicales. Il deviendra artiste, s’intéressant à l’enfermement, à la contrainte et à l’échappement de soi, à l’élévation.

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À passé quarante ans, la force de la nostalgie est telle qu’il décide de faire travailler la mémoire de son corps et conçoit lui aussi une vidéo performance unique (mais qui deviendra une série). Il rechausse les patins de ses seize ans, devenus trop petits, et s’élance sur la glace, pour y imprimer, avec la lame, des algorithmes qui lui sont chers. Le corps se souvient de tout, et la vidéo est U000 + U001 (première œuvre, donc, en deux volets – 0 et 1 – d’une série intitulée, en référence à Utopia, « Utopologia » ; ou encore Dehors Avant, d’après le nom usuel de la figure réalisée ; 2014), est  là pour en témoigner.

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En effet, pendant les dix années de Jean-Michel Pancin patineur, trois heures quotidiennes étaient dévolues aux « figures imposées ». Celles-ci consistaient à reproduire sur la glace des cercles parfaits qui y étaient dessinés au compas, puis à les recréer encore, mais sans modèle. Le cercle : figure fondamentale, qui requiert de la part du patineur un effort majeur en termes de concentration. « Il s’agissait d’acquérir des gestes parfaits, ceci dans une atmosphère monacale de silence et de solitude » dit Pancin, qui se souvient : « L’entraînement commençait très tôt le matin. Il n’y avait personne. Tu arrivais et tu tournais, tournais, comme un derviche tourneur. Et à la fin, tu devais tracer trois cercles parfaits sur la glace vierge. Trois traces en une seule. » La mémoire du corps du patineur-artiste est tenace et ce sont de profonds sillons qu’ont creusés en lui les cercles infiniment réitérés. Ce sont ces sillons que Pancin réactive, avec la mémoire de son corps, pour U000 + U001.

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Pour nous donner à voir la confrontation à la piste glacée, l’artiste, techniquement parlant, utilise des micro-caméras embarquées qui permettent au spectateur de voir ce que le patineur lui-même ne voit jamais. Le tout est filmé avec des « go pro », l’une placée sur la tête, l’autre au niveau des patins, pour donner à voir le tracé en cours de réalisation, et une caméra qui alterne des vues d’ensembles et des gros plans sur la gestuelle. Le spectateur est ainsi intimement associé au combat que le performeur conduit avec lui-même, contre lui même, avec et contre son corps, ainsi qu’à la visualisation mentale des mouvements, à la mentalisation du corps. Une tentative poétique et esthétique de laquelle les mathématiques et la philosophie, que l’on retrouve constamment dans le travail de Pancin, ne sont pas éloignées. La tension qui se crée, maximale, entre le mouvement et la concentration devient paradigmatique de la notion même d’équilibre, une notion très présente dans le travail de nombreux vidéo-performeurs, dont Matthew Barney. U000 + U001 évoque aussi L’Expédition scintillante, Acte 3, Untitled (Black Ice Stage) (2002) de Pierre Huygue, une œuvre dans laquelle  une patineuse, dans un sourire extatique, tourne des heures durant sur une patinoire de glace noire. Et même Bright Shiny Objects, de Janet Biggs, un lien supplémentaire entre les deux artistes.

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Le « Dehors Avant », la figure de base, dessine un « huit » au sol, renvoyant ainsi à la figure de l’infini. Un infini qui est aussi un lieu, le lieu minuscule de la vie du corps. Comme le dit encore Jean-Michel Pancin : « Il s’agit de donner sa pleine responsabilité à l’instant, car la perfection, tu ne l’atteints jamais. Ce travail de mémoire du corps est d’une certaine manière pathétique. Mais aussi ludique et jouissif… ». Jean-Michel Pancin inscrit ainsi ses algorithmes et la figure « dehors avant » dans l’histoire de l’art.

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Jean-Michel PANCIN

Jean-Michel Pancin, né en 1971 à Avignon. Vit et travaille à Paris et à Avignon. Il bénéficie de plusieurs bourses et prix de création photographique, notamment du 1er Prix Leica en 2001 et récompensé par le prix du salon de Mont Rouge en 2011 a déjà fait l’objet de différentes expositions monographiques, et notamment en France à la galerie Odile Ouizeman. La Galerie Analix Forever lui a aussi consacré en juin 2012 une exposition personnelle à Genève. En 2014, il participe à l‘exposition « La disparition des Lucioles » (collection Yvon Lambert) dans l’ancienne prison Saint-Anne d’Avignon, et présente pour la première fois à la foire LOOP (spécialisée en vidéo, à Barcelone) la vidéo U000+U001. Cette vidéo, dans laquelle l’artiste décide de faire travailler cette mémoire du corps en rechaussant ses patins à glace qu’il avait du mettre de côté 20 ans plus tôt pour raison médicale, est un travail iconique de l’exposition BODY MEMORY à Topographie de l’Art. En 2013, Pancin expose au palais de Tokyo à Paris et en 2012, Le Printemps de Septembre à Toulouse inclut son travail sur la prison aux Abattoirs.

 

Dans le cadre des 50JPG 2016, du 1er juin au 22 juillet 2016, à Analix Forever, 2 rue de Hesse, Genève, Suisse.

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